DÉCRYPTAGE
Faciliter
l'accès aux soins en supprimant l'avance des frais : voilà l'objectif de la
généralisation du tiers payant, proposée par le gouvernement. Comment
fonctionne ce système et pourquoi les médecins y sont-ils farouchement opposés
?
Après les urgentistes ce
lundi, ce sera au tour des médecins généralistes libéraux de faire grève mardi à
l’appel de leurs principaux syndicats MG France, la Fédération des médecins de
France et le Syndicat des médecins libéraux. Dans leur collimateur, plusieurs
points du projet de loi santé de la ministre Marisol Touraine, et
surtout lagénéralisation du tiers payant prévue d’ici 2017.
La France rejoindra ainsi les vingt-cinq autres pays européens qui
appliquent le tiers payant généralisé. Dans l’Union européenne, seules la
Belgique, le Luxembourg, et donc la France, font exception à la règle. Mais
cette promesse de campagne de François Hollande cristallise aujourd’hui toute
la grogne des médecins.
QU’EST-CE QUE LE TIERS PAYANT ?
Le système
du tiers payant permet à l’assuré d’éviter d’avancer les frais médicaux. Si
vous bénéficiez du tiers payant partiel, vous payez uniquement la part des
frais non pris en charge par l’Assurance maladie et, dans le cas du tiers
payant total, vous n’avez aucun frais à régler. Mais cela ne veut pas dire que
vous ne payez rien. A la pharmacie par exemple, l’Assurance maladie vous
prélève une franchise médicale de 50 centimes par médicament sur vos futurs
remboursements, dans la limite d’un plafond annuel de 50 euros.
QUI BÉNÉFICIE DU TIERS PAYANT AUJOURD’HUI ?
En dehors de
quelques cas particuliers, quatre grandes catégories de patients y ont
droit : les bénéficiaires de la couverture maladie universelle
complémentaire (CMU-C), de l’Aide médicale d’Etat (AME) et les victimes
d’accidents du travail ou d’une maladie professionnelle. Cela représente
environ 1/3 des consultations des généralistes.
Mais
aujourd’hui, tous les assurés peuvent aussi profiter du tiers payant chez «100
000 professionnels de santé» selon Etienne Caniard, président de la
Mutualité française. Soit la quasi-totalité des pharmaciens, beaucoup
d’infirmières, de kinés ou encore des radiologues.
ET DEMAIN, AVEC LE PROJET DE LOI SANTÉ ?
La loi
prévoit une généralisation du tiers payant dès juillet 2015 pour les
bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé (ACS) et en 2017 pour tous
les assurés. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a précisé que les
médecins récalcitrants ne seraient pas sanctionnés. Seuls les patients qui
n’ont pas de complémentaire santé devront payer leur part mutuelle au médecin.
Les autres n’auront plus de frais médicaux à avancer, sauf en cas de
dépassements d’honoraires non pris en charge par les complémentaires.
Là encore,
cela ne veut pas dire que vous ne paierez rien. Il existera toujours la
franchise médicale sur les médicaments, les actes paramédicaux et les
transports sanitaires. Même chose chez les médecins. Aujourd’hui, lorsque vous
êtes remboursés à 70% par l’Assurance maladie pour une consultation de 23 euros
chez un généraliste, la CPAM vous prélève un euro de participation forfaitaire
sur vos futurs remboursements. Mais s’il n’y a plus de remboursements à
effectuer en 2017, où sera pris cet argent ? Certains avancent qu’il pourrait
être directement prélevé sur nos comptes bancaires. Le ministère de la Santé et
la Direction de la sécurité sociale (DSS) ne répondent pour l’instant pas à
cette question dont la réponse est visiblement un vrai casse-tête.
POURQUOI LE TIERS PAYANT GÉNÉRALISÉ FAIT-IL DÉBAT EN FRANCE ?
Parce que
95% des médecins y sont opposés, selon un sondage OpinionWay publié le 19
septembre. Par manque de moyens avancent-ils d’abord. «Il existe plus de
400 mutuelles en France, il y a donc beaucoup de papiers à envoyer, or un généraliste
sur trois n’a pas de secrétariat pour gérer les tâches administratives et on
risque de ne pas toujours être payés», se justifie Claude Leicher, président de
MG France, principal syndicat de médecins généralistes. Un argument que
comprennent bien les infirmières libérales : la majorité demande à leurs
patients de régler leur part mutuelle «parce que c’est l’enfer pour se
faire rembourser par les complémentaires. Je l’ai fait pendant deux ans et je
devais leur envoyer plusieurs courriers pour réclamer quelques euros», raconte
Andrée Palme, infirmière libérale à Aubenas, en Ardèche.
Pourtant,
chez les pharmaciens, le tiers payant s’est généralisé «sans problème»,
selon Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats
pharmaceutiques de France (PSPF). Si cela fonctionne c’est pour une raison
toute simple : les pharmaciens se sont équipés d’un système qui leur
facilite la tâche : des«organismes concentrateurs techniques» qui
envoient les factures à l’Assurance maladie et aux différentes mutuelles. Autre
solution moins coûteuse : la Mutualité française, très favorable au tiers
payant, est en train de travailler sur un logiciel«extrêmement simple qui
permet d’identifier les mutuelles de leurs patients et leur fournit une
garantie de paiement en cas de changement de complémentaire»,explique Etienne
Caniard, président de la Mutualité française.
«Ce qui me
gêne c’est que ce soit obligatoire, remarque Michel Combier, secrétaire général
de l’Union régionale des professionnels de santé. Ce projet va déresponsabiliser
le malade. La santé n’a pas de prix mais elle a un coût. On craint une
inflation des actes.» Un argument balayé par Magalie Leo, chargée de
mission assurance au Collectif interassociatif sur la santé (CISS) : «Personne
ne va voir un médecin par plaisir. Aujourd’hui, ceux qui ne peuvent pas avancer
les frais d’un
médecin vont à l’hôpital et engorgent les urgences.» Améliorer l’accès aux
soins, c’est bien l’objectif du ministère de la Santé et il s’appuie sur un
chiffre : en 2012, 26 % de la population déclarait avoir renoncé à au
moins un soin pour raisons financières.
Mais ce qui
ressort des nombreux témoignages recueillis auprès des médecins, c’est que les
généralistes tiennent plus que tout à la charte de la médecine libérale.
Beaucoup ont peur de devenir un jour, en quelque sorte, les «salariés de
l’Assurance maladie». Etienne Caniard conclut : «Ce système est
surtout un redoutable révélateur des dépassements d’honoraires, les patients
verront tout de suite ce qu’ils devront payer en plus de leur poche.»