mercredi 24 décembre 2014

Pourquoi les médecins refusent-ils le tiers payant généralisé ?

DÉCRYPTAGE

Faciliter l'accès aux soins en supprimant l'avance des frais : voilà l'objectif de la généralisation du tiers payant, proposée par le gouvernement. Comment fonctionne ce système et pourquoi les médecins y sont-ils farouchement opposés ?

Après les urgentistes ce lundi, ce sera au tour des médecins généralistes libéraux de faire grève mardi à l’appel de leurs principaux syndicats MG France, la Fédération des médecins de France et le Syndicat des médecins libéraux. Dans leur collimateur, plusieurs points du projet de loi santé de la ministre Marisol Touraine, et surtout lagénéralisation du tiers payant prévue d’ici 2017.
La France rejoindra ainsi les vingt-cinq autres pays européens qui appliquent le tiers payant généralisé. Dans l’Union européenne, seules la Belgique, le Luxembourg, et donc la France, font exception à la règle. Mais cette promesse de campagne de François Hollande cristallise aujourd’hui toute la grogne des médecins.

QU’EST-CE QUE LE TIERS PAYANT ?

Le système du tiers payant permet à l’assuré d’éviter d’avancer les frais médicaux. Si vous bénéficiez du tiers payant partiel, vous payez uniquement la part des frais non pris en charge par l’Assurance maladie et, dans le cas du tiers payant total, vous n’avez aucun frais à régler. Mais cela ne veut pas dire que vous ne payez rien. A la pharmacie par exemple, l’Assurance maladie vous prélève une franchise médicale de 50 centimes par médicament sur vos futurs remboursements, dans la limite d’un plafond annuel de 50 euros.

QUI BÉNÉFICIE DU TIERS PAYANT AUJOURD’HUI ?

En dehors de quelques cas particuliers, quatre grandes catégories de patients y ont droit : les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), de l’Aide médicale d’Etat (AME) et les victimes d’accidents du travail ou d’une maladie professionnelle. Cela représente environ 1/3 des consultations des généralistes.
Mais aujourd’hui, tous les assurés peuvent aussi profiter du tiers payant chez «100 000 professionnels de santé» selon Etienne Caniard, président de la Mutualité française. Soit la quasi-totalité des pharmaciens, beaucoup d’infirmières, de kinés ou encore des radiologues.

ET DEMAIN, AVEC LE PROJET DE LOI SANTÉ ?

La loi prévoit une généralisation du tiers payant dès juillet 2015 pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé (ACS) et en 2017 pour tous les assurés. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a précisé que les médecins récalcitrants ne seraient pas sanctionnés. Seuls les patients qui n’ont pas de complémentaire santé devront payer leur part mutuelle au médecin. Les autres n’auront plus de frais médicaux à avancer, sauf en cas de dépassements d’honoraires non pris en charge par les complémentaires.
Là encore, cela ne veut pas dire que vous ne paierez rien. Il existera toujours la franchise médicale sur les médicaments, les actes paramédicaux et les transports sanitaires. Même chose chez les médecins. Aujourd’hui, lorsque vous êtes remboursés à 70% par l’Assurance maladie pour une consultation de 23 euros chez un généraliste, la CPAM vous prélève un euro de participation forfaitaire sur vos futurs remboursements. Mais s’il n’y a plus de remboursements à effectuer en 2017, où sera pris cet argent ? Certains avancent qu’il pourrait être directement prélevé sur nos comptes bancaires. Le ministère de la Santé et la Direction de la sécurité sociale (DSS) ne répondent pour l’instant pas à cette question dont la réponse est visiblement un vrai casse-tête.

POURQUOI LE TIERS PAYANT GÉNÉRALISÉ FAIT-IL DÉBAT EN FRANCE ?

Parce que 95% des médecins y sont opposés, selon un sondage OpinionWay publié le 19 septembre. Par manque de moyens avancent-ils d’abord. «Il existe plus de 400 mutuelles en France, il y a donc beaucoup de papiers à envoyer, or un généraliste sur trois n’a pas de secrétariat pour gérer les tâches administratives et on risque de ne pas toujours être payés», se justifie Claude Leicher, président de MG France, principal syndicat de médecins généralistes. Un argument que comprennent bien les infirmières libérales : la majorité demande à leurs patients de régler leur part mutuelle «parce que c’est l’enfer pour se faire rembourser par les complémentaires. Je l’ai fait pendant deux ans et je devais leur envoyer plusieurs courriers pour réclamer quelques euros», raconte Andrée Palme, infirmière libérale à Aubenas, en Ardèche.
Pourtant, chez les pharmaciens, le tiers payant s’est généralisé «sans problème», selon Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (PSPF). Si cela fonctionne c’est pour une raison toute simple : les pharmaciens se sont équipés d’un système qui leur facilite la tâche : des«organismes concentrateurs techniques» qui envoient les factures à l’Assurance maladie et aux différentes mutuelles. Autre solution moins coûteuse : la Mutualité française, très favorable au tiers payant, est en train de travailler sur un logiciel«extrêmement simple qui permet d’identifier les mutuelles de leurs patients et leur fournit une garantie de paiement en cas de changement de complémentaire»,explique Etienne Caniard, président de la Mutualité française.
«Ce qui me gêne c’est que ce soit obligatoire, remarque Michel Combier, secrétaire général de l’Union régionale des professionnels de santé. Ce projet va déresponsabiliser le malade. La santé n’a pas de prix mais elle a un coût. On craint une inflation des actes.» Un argument balayé par Magalie Leo, chargée de mission assurance au Collectif interassociatif sur la santé (CISS) : «Personne ne va voir un médecin par plaisir. Aujourd’hui, ceux qui ne peuvent pas avancer les frais d’un médecin vont à l’hôpital et engorgent les urgences.» Améliorer l’accès aux soins, c’est bien l’objectif du ministère de la Santé et il s’appuie sur un chiffre : en 2012, 26 % de la population déclarait avoir renoncé à au moins un soin pour raisons financières.
Mais ce qui ressort des nombreux témoignages recueillis auprès des médecins, c’est que les généralistes tiennent plus que tout à la charte de la médecine libérale. Beaucoup ont peur de devenir un jour, en quelque sorte, les «salariés de l’Assurance maladie». Etienne Caniard conclut : «Ce système est surtout un redoutable révélateur des dépassements d’honoraires, les patients verront tout de suite ce qu’ils devront payer en plus de leur poche.»





0 commentaires:

Enregistrer un commentaire